C’est à l’occasion de la préparation d’un petit exposé qu’on m’a commandé en faveur d’un public de collégiens, que je suis tombé sur le petit morceau d’Histoire suivant, a propos de l’île de Saint-Martin :
Autour de 1843, l’amiral Alphonse-Louis-Théodore de Moges (1789-1850), alors qu’il était gouverneur de la Martinique, écrivit au ministre de la Marine française:
«Malgré la double occupation (française et hollandaise), c’est la langue anglaise qui est la seule familière à l’ensemble de la population. Cette circonstance s’explique par le peu d’intérêt que la Hollande accorde à cette possession et par l’abandon où nous-mêmes l’avons laissée pendant de longues années.»
… et je me suis demandé quel pouvait bien être la raison de cet « abandon ou nous-même l’avons laissé ». J’ai envisagé plusieurs hypothèses, la plupart peu probables : soit la grand-mère de Dona, arrière arrière grand-mère d’Irma avait tout rasé, soit l’ancêtre du corona virus émigré de chine avait tué hommes et bêtes, soit les aieux des révoltés du pont de Sandy-Ground avaient chassé tous les colons…
Mais à la réflexion la raison m’apparaît plus simple et se résume à cette question :
Combien rapporte la colonie aux colons à ce moment là?
Question que s’étaient surement posée les gouvernements centraux à travers les lobbys économiques qui influençaient leurs politiques coloniales d’alors et aussi d’aujourd’hui.
Il faut se souvenir que les «grandes gens » des îles et des grands ports européens de l’époque tiraient une bonne part de leurs richesses des plantations de cane à sucre, dans les grandes et les petites Antilles (Hispaniola, Guadeloupe, Martinique, Sainte-Lucie, Barbade, Saint-Christophe, …. Saint-Martin en particulier s’était fortement convertie à cette économie vers les années 1770 sous l’impulsion d’un certain Commandant Descoudrelles.
La lettre du bon Amiral date de 1843, mais dès 1833 l’Angleterre avait abolit l’esclavage à Anguilla… et Blowing Point est a environ 7 km à la nage de l’Anse Marcel.
Ce n’est pas loin pour un esclave « français » qui veut être un citoyen libre… et un esclave de la partie hollandaise peut, lui aussi, facilement imaginer qu’il peut y arriver.
Par ailleurs, à ce moment là, La France à déjà perdu la guerre de Hispaniola… les Personnes réduites en esclavage (peredes) résistent de plus en plus et de mieux en mieux au statut qui leur est imposé.
Ainsi donc, l’économie sucrière ne rapporte plus autant, faute de main-d’oeuvre gratuite « motivée »… Voilà probablement la raison de notre « abandon ».
D’ailleurs le décret d’abolition qui arrive en 1848, consacre le déclin de l’économie sucrière sur l’île, au profit de l’exploitation des marais salants, encore profitable… en tous cas, le métis martiniquais, officier supérieur de l’armée française, François Auguste PERRINON, a cru au sel jusqu’à sa mort sur l’île et son enterrement au cimetière de Marigot, ou sa tombe est encore visible.
Et à la réflexion j’ai encore envie de poser la même question : Combien rapporte la colonie ? ou pour être plus moderne et politiquement correct :
Que rapporte Saint-Martin à la France ou à la Hollande ?
Je ne saurai répondre à cette question, n’ayant ni le recul ni la connaissance nécessaire.
Le bon Amiral fait aussi observer à son ministre de la marine (ministre de l’outre mer) que «c’est la langue anglaise qui est la seule familière à l’ensemble de la population. »
Ainsi donc « l’anglophonisation » de l’ensemble des habitants est bien antérieure à cette époque.
Je penses qu’il y a 250 ans que les Saint-Martinois parlent anglais.
Et cela est un fait culturel si bien ancré que :
Ni la France, puissance colonisatrice
Ni la France, puissance civilisatrice
Ni la France, puissance économique
Ni la France, puissance administrative
Ni la France, puissance éducative
Ni la France Jacobine
La hollande non plus, d’ailleurs,
Malgré la grande envie de certains,
Malgré les grands efforts de quelques uns
Malgré aussi notre manque de vigilance,
n’a réussi à faire disparaître notre « St martin english »
Preuve s’il en faut de la solidité, de la permanence, de l’immanence même de cette réalité là dans le corpus culturel du St martiner. Une réalité qui résulte d’accidents successifs d’une histoire coloniale plusieurs fois centenaire. Une réalité forgée sous le chaud soleil des champs de coton, des champs de cane ou des marais salants.
Une réalité qui ne contient pas plus de sentiment anti France que celui du chti ou du breton, le patriotisme des uns et des autres en temps de guerre étant indiscutable, je me devais le préciser…
…Et nous avons la responsabilité de protéger et de transmettre le flambeau culturel que nous avons reçu de nos ancêtres
Après l’abolition de 48, certains propriétaires blancs sont partis, faute de pouvoir continuer à tirer bénéfice de l’île. En partant quelques uns ont pris soins d’organiser la répartition de leurs propriétés entre les anciens esclaves.
Des noirs aussi ont quitté l’île de peur de revivre l’expérience de 1802
(En 1802 Napoléon avait rétabli l’esclavage qui avait été aboli en 1794 dans la foulée de la Révolution française de 1789).
Ceux qui ont vécus les événements de ce 19e siècle (et de la fin du 18e), ceux qui sont restés après l’abolition, surtout des noirs, mais aussi quelques blancs (eh oui, il y a bien des Saint-Martinois qui sont blancs), quelques blancs et des noirs qui se devaient d’organiser « le vivre ensemble dans la misère », puisque, les noirs aussi bien que les blancs subissaient l’abandon observé par notre bon amiral, par la France aussi bien que par la Hollande… La survie de chacun dépendait de la solidarité dans le partage de la pénurie économique, de l’esprit d’entraide dans la construction et dans les plantations (jollification) et de la tolérance qui se développaient au bénéfice de tous.
Ceux aussi qui sont partis à Curaçao, Aruba ou Saint-Domingue et ont renvoyés de l’argent à la maison pendant des années… c’était dur, mais il fallait le faire, et cela a contribué à l’endurcissement, à la résilience du groupe… quelques uns sont revenus et ont construit de grandes maisons, à la force de leurs poignets et grâce à la solidarité du « village », parfois sans permis, mais dans des règles de l’art anti cyclonique hérités des expériences passées.
La survie du groupe dépendait aussi de sa capacité à s’auto gérer, à établir et respecter ses propres règles et à faire sa propre police.
…Et c’est avec et autour de ce noyau dur social transfrontalier que se développe la réalité culturelle qu’on appelle aujourd’hui Saint-Martinois, une réalité reconnaissable d’abord à l’oreille, par le parlé, l’anglais Saint-Martinois, et par quelques autres pratiques transmises d’une génération à l’autre, dont certaines tendent à disparaître sous les tsunamis culturels qui arrivent de tous les côtés à la fois.
La fabrication du journey cake, du peas soup and dumplin et du guava berry sont quelques pratiques ancestrales.
Certaines pratiques et jours de fêtes viennent aussi du passé local… Bastille day, boxing day, easter monday. Je regrette, par exemple, que les « boat race » soient de plus en plus rares.
La multiplicité des cultes est aussi héritée du passé, puisque, quand il n’y avait pas de curé, ce qui s’est souvent produit, on se tournait facilement vers le pasteur méthodiste ou anglican.
La France contrôle la partie nord, La Hollande la partie sud, mais la réalité est que l’île est UNE.
…et en 1948, lorsque Louis-Constant Fléming construit le monument de la frontière de Bellevue, pour célébrer le 300e anniversaire de la signature du traité du mont du accords, il signifie que les deux parties de l’île ont un seul destin.
…et en 1959, lorsque le Dr Petit propose que l’on célèbre le Saint-Martin Day le 11 novembre de chaque année, il signifie que les Saint-Martinois du sud et du nord sont un même peuple… qu’on le veuille ou non…
…En espérant ne pas avoir à écrire la « chronique de la mort prématurée d’une nation »