Saint-Martin : des lycéens écrivains…et je dis merci !

Parce que le mois de juillet est celui des résultats aux examens et celui de la préparation à une nouvelle étape de vie, il m’est revenu un épisode intense mais heureux que j’ai connu en tant que Proviseur-Adjoint au Lycée Polyvalent des Iles du Nord.
Je m’associe aussi à la célébration de la première « journée caribéenne de la littérature »

Nous sommes en 2006. En 2006, la plupart des élèves de mon établissement étaient nés en 1989-1990. En 1989-90, nous vivions, à Saint-Martin, le pic de la vague migratoire consécutive à la loi de défiscalisation outre-mer de 1986 (loi Pons). (8000 hab en 1982, 28 000 en 1990 – x 3,5 en 8 ans)
Une proportion importante du public scolaire est donc la 1re génération issue du tsunami migratoire de l’époque, en provenance essentiellement de Saint-Domingue, d’Haiti, de La Dominique, et de France métropolitaine, mais pas seulement.

La plupart de nos élèves étaient non francophones et vivaient dans des conditions sociales, économiques et culturelles peu favorables.
Nombre d’entre eux issus de cette immigration explosive, ne se sentent plus complètement du pays de leurs parents et pas encore tout à fait du pays ou ils grandissent, des circonstances qui produisent un public scolaire difficile. Des circonstances défavorables pour la réussite scolaire;

En même temps, je m’en rends compte maintenant, les éducateurs de l’époque étaient les témoins et un peu acteurs, de la « construction » d’une nouvelle société, ou les « migrants » avaient tendance à se constituer en communautés bien identifiées et ou leurs enfants et les enfants des Saint-Martinois développaient plus de tolérance et une aptitude à parler plusieurs langues, une opportunité d’ouverture culturelle qu’ils ne connaîtraient pas à San Pedro, à Jacmel ou à en Provence. Ils ont su trouver de nouvelles marques, de nouveaux marqueurs culturels comme par exemple celui de prendre l’anglais Saint-Martinois comme principale langue d’échange inter ethnique.
C’est seulement quand ils se rendront en Europe ou aux Amériques qu’ils verront l’avantage et l’atout que constitue le multilinguisme acquis ici avec une relative facilité,

Le système éducatif, lui, avait d’autant plus de mal à  « traiter » ce public que :

1 – La croissance trop rapide des effectifs provoquait un turn over important d’enseignants, souvent inexpérimentés compte tenu de la grande hétérogénéïté et du profil particulier des élèves, sur le plan linguistique, sur le plan social et sur le plan culturel.  auxquels ils étaient confrontés.
2 – Les conditions matérielles étaient dégradées du fait de la surpopulation des établissements de Marigot.
3 – L’existence de deux « gros » établissements surpeuplés (+2000 élèves) sur moins de 100 m de rue de la rue de Spring créait des situations de tensions quasi quotidienne.

C’est dans ce contexte complexe et enrichissant que le « Foyer Socio Educatif » animé par des enseignants pleinement engagés, Evelyne F. et Ketty D., entres autres, a proposé aux élèves un travail d’écriture qui est devenu un recueil de poèmes dans les principales langues parlées dans l’établissement : français, anglais, espagnol, créole haïtien. Il s’agissait d’exprimer son sentiment vis a vis de Saint-Martin.
Ce sont ces écrits là qui ont inspirés la « préface » que j’ai eu le privilège d’écrire.

Le poème multilingue ci-après traduit à peu près l’atmosphère de l’ensemble du document.


D’île en île

D’île en île, j’ai voyagé tous les mois
et même des fois toutes les semaines
à cause de mes origines et de mon passé

Till I reach to Sint-Maarten/Saint-Martin
the one and only called « the friendly island »
who received me with open arms

gracias le doy a la gente que vive aqui
por haberme acogido
siendo quien soy, sin conocer mi pasado, gracias

pawol mwen pa sufisan pou di
mesi Sen-matin
pou ospitalité kè ou ban mwen


Evelyne Fleming, présidente du Foyer Socio-educatif et coordinatrice du projet, conclut le document par ces mots :

Dictés par leurs passions pour la poésie, les élèves nous ont concocté un recueil à l’image de l’île de Saint-Martin : multilingue, surprenant et unique.
Je souhaite que leurs espoirs soient entendus, que leurs peurs soient annihilées, que leurs vœux soient exaucés et que leur engagement social soit à la hauteur de leur contribution pour que l’île devienne pour les uns, redevienne pour les autres « the friendly island »


Préface

Bienvenu dans le petit monde de Saint-Martin,
reconnu cornrne dernière terre d’accueil par certains,
reconnu cormme seule terre d’asile par d’autres,
Friendly Istand, toi, pas aussi arnicale qu’avant,

pour les nostalgiques d’un passé pas si lointain.

Mais toi. Friendly Island, monde toujours bon, pour ceux qui connaissent misère ailleurs.
Un monde tel que décrit et compris par nos élèves,
des jeunes en découverte du monde de la poésie,
des jeunes en recherche d’un monde meilleur, qui de toutes les façons pensent :
Chaque enfant qui naît — porte en son cœur – un grain d’amour divin —
Et le but de l’existence — est de faire grandir ce grain d’amour.

Certains se considérent d’ici. Certains sont seulement nés ici. Certains sort arrivés ici.
Tous expriment gratitude ou inquiétude, tous font le choix de l’espoir
en un futur commun meilleur, pour toute l’humanité du microcosme saint-martinois

Les professeurs parlent avec fierté, non pas de ce que « les élèves ont fait »
Mais plutôt de ce que « mes élèves » ont réalisé
Telle est la différence entre l’emploi de « prof» et la profession d’enseignant

Si seulement l’élève savait, si seulement le parent savait.
que la récompense ultime de l’éducateur vrai, n’est ni le salaire, ni la médaille,
mais plutôt le merci monsieur, merci madame qui vient, 5, 10 ou 20 ans aprés,
pour une parole, un geste, qui aura marqué pour la vie, qui aura compté dans une vie,
qui aura changé le cours d’une vie.
Si seulement élèves et parents savaient le bonheur ressenti, quand celui qui semblait perdu à jamais, se révèle plus valeureux qu’escompté, parce qu’on aura cru en lui contre toute logique,

parce qu’il aura persisté contre toute attente,

parce qu’ il aura gardé espoir en désespoir de cause.
Telles sont les pensées qui habitent mon esprit quand je lis les écrits de certains,

que les uns avaient déjà condamnés,

à l’échec scolaire, à l’échec social, à l’échec humain, à l’échec à jamais.
Alors que d’autres, par un regard, un geste, une parole, une conviction,

une persévérance sans explication, une foi en l’homme,
leur ont dit : « Essaye encore! tu peux, si tu veux ! Tu n’es pas nul, tu n’es pas vide !
Essaye encore, essaye différemment »
Essaye le sport, essaye le dessin, essaye la danse, la musique, Essaye la poésie.
Voici, ci-après, le résultat de l’engagement de quelques uns. Merci à eux.

Frantz GUMBS

Il faut remercier les enseignants, les surveillants, les personnels administratifs et même les agents de service qui ont réussi à tenir bon dans ces conditions particulièrement difficiles.

Je veux également rendre hommage aux bonnes personnes qui ont participé constructivement à la mise en opération de la Cité Scolaire Robert Weinum. Je ne citerai qu’un nom, sans minimiser le rôle des autres : Christian Rella. Le chef d’établissement ne choisi pas son adjoint. J’ai eu la chance d’avoir un des meileurs en sa personne. Je lui sais gré de sa loyauté sans faille, de sa compétence indiscutable et de sa disponibilité de tous les instants. Je ne doûte pas que quand l’opporunité se présentera, il sera un excellent chef d’établissement.

Lui et tous ceux qui ont tenu bon dans l’adversité, même après Irma, méritent notre admiration et notre respect.

Merci à nos éducateurs pour leur engagement.

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