I – D’où nous venons (survol)
A partir des années 1830, l’économie sucrière a commencé à décliner de manière significative, car la « productivité » de la main-d’œuvre noire a diminué de façon spectaculaire. La perspective d’une liberté possible de l’autre côté du canal d’Anguilla (ou l’esclavage est aboli en 1833) a eu un fort impact sur l’attitude des esclaves (rebelles) ainsi que sur l’attitude des propriétaires d’esclaves. C’est pourquoi je crois que, bien avant l’abolition par la France en 1848, aucune sorte de règles strictes en matière d’esclavage ne pouvait être appliquée. C’était la fin d’une époque. Nous sommes alors entrés dans une « période de vie ralentie ». Les gens qui sont restés, surtout des Noirs, mais aussi quelques Blancs, vivaient en quasi autarcie. La construction du canal de Panama, l’industrie pétrolière à Curaçao, le rêve américain étaient des appels forts pour les hommes à la recherche d’opportunités pour améliorer les moyens de subsistance de leurs familles. Je crois aussi que c’est à cette époque là que l’identité culturelle du « one sin martin people » a vraiment mûri.
1 – La modernisation
Après un siècle de quasi léthargie, les conditions socio-économiques ont commencé à évoluer de plus en plus vite à partir des années 60, et surtout pendant les années 80.
Parmi les facteurs favorisant le développement il y a :
- le début de l’électrification de la partie française (1963)
- l’installation de la première banque (Crédit Agricole, 1963)
- l’usine de dessalement d’eau de mer (1965)
- mise en service de l’aéroport de Grand-Case.
- Le développement rapide du tourisme en partie hollandaise
Une accélération très brutale intervient en conséquence de la loi de défiscalisation outre-mer (1986).
Le paysage social, culturel, et économique se modifie considérablement.
L’aspect le plus « visible » et le plus impactant est l’explosion démographique
| Années | 1931 | 1961 | 1967 | 1974 | 1982 | 1986 estim. | 1988 estim. | 1990 |
| Populations | 5377 | 4494 | 5061 | 6191 | 8092 | 12000 | 24000 | 28505 |
Il en est résulté que les institutions ont été submergées par ce tsunami démographique, avec des conséquences sociales irréversibles.
- L’Education Nationale a eu du mal et a mis beaucoup de temps à commencer à s’adapter à la quantité autant qu’aux qualités nouvelles du public scolaire ;
- Les logements sociaux et d’autres formes d’hébergement poussent comme des champignons mais apportent une réponse qui se révélera inadéquate. Le communautarisme devient visible et audible.
Il en est résulté aussi, pendant quelques années, une certaine animosité entre la population traditionnelle de l’île et les différents groupes de populations issues d »îles de la caraïbe. Cette animosité là tend aujourd’hui à s’apaiser, les uns finissant par accepter l’installation dans la durée de ceux dont la principale motivation pour venir ici était de survivre et faire vivre la famille restée au pays. Les « anciens » se souviendront que de nombreux Saint-Martinois ont eux aussi été des immigrés dans le pays des autres.
La relation avec la communauté métropolitaine est souvent moins sereine, peut-être parce celle là occupe et semble tout faire pour conserver une position prédominante dans l’économie et le management des organisations, tant publiques que privées.
Il y a eu des sommes faramineuses investies dans l’économie locale grâce à la défiscalisation, de très nombreuses entreprises ont été créées, de très nombreuses constructions ont été réalisées, on a pu parler enfin de développement économique. Mais ce développement là n’a guère profité à la population dite autochtone. Ceux qui parlaient bien le français et étaient familiers de la culture administrative française avaient un avantage certain dans ce contexte là.
Ce développement là n’a donc pas produit de progrès social localement et le problème de chômage massif n’a pas été résolu.
2 – L’évolution institutionnelle
Dans son discours du 14 juillet 1990, le maire (Albert Fleming) exprime son opposition à l’installation de la douane sur le territoire communal, installation imminente annoncée par le Préfet de la Guadeloupe. Le maire exprimait la crainte que les franchises fiscales et douanières dont bénéficiaient les « îles du nord » ne soient remises en cause, ce qui accentuerait encore plus le déséquilibre économique entre les deux parties de l’île, au bénéfice de la partie sud, qui n’en demandait pas tant.
Suite à d’importantes protestations populaires, le Préfet de La Guadeloupe à été conduit à modifier son projet. La douane sera bien installée à Saint-Martin, mais ne s’occupera que de lutte contre les trafics illicites (stupéfiants, armes…)
L’association Consensus Populaire Saint-Martinois est née de ces manifestations, et a conduit un travail d’analyse systématique des handicaps structurels dont souffrait l’île (éducation, santé, immigration, services judiciaires, délinquances, coopération, transports et circulation, …).
Une large coalition politique et socio-économique s’est constituée dans le but d’obtenir un changement de statut., visant à :
- Rapprocher du territoire, le processus décisionnel, situé surtout en Guadeloupe. (une préoccupation portée essentiellement par le personnel politique)
- Préserver les acquis sociaux et fiscaux historiques (préoccupation portée surtout par les socio-professionnels)
- Préserver l’identité traditionnelle de l’île, langue et autres aspects culturels (préoccupation portée par quelques politiques et des activistes culturels, « grassroot », « born here » etc)
Les événements de 1990 n’étaient, cependant, que l’aboutissement d’un sentiment qui grandissait depuis nombre d’années, sentiment exprimé clairement, par exemple, par le Dr Petit (Maire de 59 à 77), que la commune était traité de manière inéquitable par les autorités situées en Guadeloupe, Préfecture, Conseil Général et plus tard, le Conseil Régional.
Suite à la modification de la Constitution Française et à de très nombreux échanges entre la Commune, le Département, la Région et l’Etat, une consultation populaire a eu lieu le 7 décembre 2003. Ceux des électeurs qui se sont exprimés ont optés majoritairement pour un changement de statut basé sur l’article 74 de la constitution.
La Collectivité d’Outre Mer de Saint-Martin et ses institutions sont inaugurées le 15 juillet 2007, et exerce depuis lors les compétences transférées de l’ancienne commune de Saint-Martin, les compétences exercées par le Département et par la Région Guadeloupe ainsi que des compétences transférées par l’Etat, tels la fiscalité ou le transport.
Le nouveau statut n’a à ce jour, pas encore produit toute l’efficacité attendu, pour au moins 3 raisons :
- l’insuffisante préparation de la techno structure administrative nécessaire à la prise en charge des nouvelles compétences. Ni la montée en compétences des personnels communaux, ni le recrutement de cadres locaux n’ont été bien anticipés.
- L’instabilité politique liée à la « démission d’office » des 2 premiers Présidents pour des problèmes de comptes campagnes.
- La faiblesse de l’accompagnement attendu de l’Etat (gestion de la fiscalité locale, plan de rattrapage, dotations « mal calculées »…).
- Les hauts fonctionnaires de l’Administration centrale donnent parfois l’impression de regarder avec condescendance les gouvernances de l’outre-mer (et de certaines provinces lointaines). Ces Jacobinistes là ne chercheraient ils pas à démontrer que toute tentative de décentralisation est vouée à l’échec ?
…et puis il y a eu Irma.
3 – Irma
Il y a moins de 6 mois qu’une nouvelle gouvernance est en place, une équipe dont la plupart des membres sont sans expériences en matière de gestion des affaires publiques. Il fallait vite apprendre, à travers les premiers pas dans les réunions de commissions qui préparent les réunions d’un Conseil Territorial, à travers les contraintes calendaires liées à la préparation d’une rentrée scolaire, à travers la familiarisation avec les process de la préparation de la saison cyclonique. Il fallait aussi assurer les visites protocolaires nécessaires avec nos amis du sud, bien mieux organisés sur le plan protocolaire. Et tant et tant d’autres aspects de l’action publique que l’on ne maîtrise qu’en les pratiquant.
Dans ce contexte il est facile de comprendre que le Président, seul de son équipe à avoir l’expérience des responsabilités publiques, soit submergé par l’ampleur de la catastrophe, ceci malgré toute la bonne volonté et le courage de ses colistiers. Et il est vrai qu’il s’agissait d’une catastrophe majeure.
L’Etat est donc venu de Paris, comme c’est son devoir de solidarité de le faire, à la rescousse d’un petit territoire dévasté. Mais cet Etat là n’est pas reparti après « l’état d’urgence ». Il a pris toute la place que la gouvernance locale n’était pas de taille à préserver. De toutes les façons, l’arrogance locale était trop loin d’être de taille à compétir avec l’arrogance centrale. La pratique solitaire du pouvoir local était aussi un facteur défavorisant.
…et maintenant il y a cette crise sanitaire !
…et il y a aussi ce relationnel tendu entre les exécutifs locaux de Marigot et de Great Bay et leurs gouvernements centraux respectifs, qui aurait pu, qui aurait dû provoquer plus de solidarité entre les gouvernements locaux. (par exemple, il est regrettable qu’une stratégie commune de communication anti covid19 plus agressive n’ait été mise en place).
Telles sont quelques unes des circonstances dont il faut tenir compte pour préparer notre futur.



















