« Je suis né ici » est une expression qui était très populaire à Saint-Martin, à la fin des années 80 et dans les années 90. Elle est née suite à l’extraordinaire explosion démographique qui a eu lieu sur la partie nord de Saint-Martin, suite à la loi de défiscalisation votée par le gouvernement français en 1986. Cette loi était censée dynamiser les économies des territoires d’outre-mer de la France, grâce à des investissements réalisés en échange d’avantages fiscaux très favorables. Et en effet, de nombreux investissements ont été réalisés. Mais cette loi a eu des effets sociaux très négatifs, en particulier parce que la main-d’œuvre locale a été rapidement dépassée par le nombre trop élevé de projets de construction à réaliser en un temps très court. Le secteur du bâtiment a attiré, de manière incontrôlée, un nombre considérable de « travailleurs » des Caraïbes (Haïti, Rep. Dominicaine, Dominique…) mais aussi de nombreux métropolitains en quête parfois d’argent rapide, de nouvelles opportunités surement, et peut-être d’un paradis au soleil.
Les autorités avaient perdu le contrôle de l’immigration.
Ce développement économique trop rapide n’a généralement pas profité à la population traditionnelle de Saint-Martin.
La population est passée de 8000 hab en 82, à 28 000 en 1990… établissant ainsi en quelques années un nouveau paradigme sociétal.
Une analyse beaucoup plus large du quand, du pourquoi et du comment tout cela s’est passé serait nécessaire, mais ce n’est pas l’objet de cet exposé.
L’une des conséquences est que les « Sinmartiners » ont été marginalisés, en termes de nombre évidemment, mais aussi en tant que main-d’œuvre, par défaut de formations adéquates et parce qu’il était facile de sous-payer les immigrants dans le domaine de la construction et qu’il était plus rentable d’utiliser des travailleurs saisonniers français dans les activités de l’hôtellerie-restauration, entre autres raisons.
Tous les services publics étaient débordés…
– Les établissements scolaires étaient surpeuplés et la plupart des enseignants étaient des débutants dont le plus grand souhait (pour beaucoup d’entre eux) était de retourner le plus vite possible dans leur Guadeloupe natale. (Nous ne les blâmons pas)
L’hôpital s’est spécialisé dans la mise au monde de bébés. 800 accouchements par an, dont la moitié de mères venant d’autres pays des Caraïbes… c’est ainsi que se crée un nouveau groupe ethnique de « nés ici » issus des migrations.
Le logement était largement insuffisant, ce qui a conduit à la création de « ghettos » aux conditions de vie très pauvres et fragiles…ce qui a conduit à toute la saga post Luis (mais c’est là une toute autre histoire), et à une construction très rapide mais mal pensée de logements sociaux.
L’évacuation des eaux usées est devenue un problème
Les services sociaux, les services postaux ou même les services judiciaires n’étaient pas à la hauteur.
Voici deux récits qui traduisent l’ambiance sociale (mauvaise) de l’époque.
Beaucoup « d ‘anciens » vont se reconnaître dans ces deux histoires…
Tout d’abord…La Belle Créole (extrait d’une page instagram gérée par Stephie GUMBS. (https://www.instagram.com/onthisdaysxm/ )
Nous sommes aujourd’hui le 30 mai et en ce jour de 1988, un article du Newsday a été publié concernant une grève qui a eu lieu à l’hôtel la Belle Créole à Nettle Bay/Low lands (Pointe du Bluff).
L’hôtel qui faisait partie de la chaîne Conrad Hilton a ouvert en février 1988 et quelques mois plus tard, les travailleurs locaux ont constaté qu’ils étaient licenciés alors que des Européens et des étrangers étaient encore employés ? La direction a fait valoir qu’elle n’avait pas d’autre choix que d’employer des étrangers en raison du manque de qualification des travailleurs locaux.
À l’époque (1986-1995), La Belle Créole était un employeur important pour la partie française avec plus de 170 chambres et 149 postes de travail. Lors de la construction de l’hôtel, le maire de l’époque avait remarqué que les Saint-Martinois ne postulaient pas à des postes clés et les jeunes chômeurs se demandaient pourquoi certains d’entre eux n’avaient pas été envoyés à l’étranger pour suivre des formations pour ces postes.
Une fois que les travailleurs ont décidé d’agir contre cette situation le syndicat UDTSM les a soutenus en organisant un go-slow qui a conduit à des négociations avec le maire mais aussi avec le vice-président de la société Conrad Hilton.
Les négociations ont été fructueuses pour les travailleurs qui ont bénéficié d’un programme de formation et ont reçu l’assurance que l’expansion de l’hôtel éviterait les licenciements.
C’est l’une des premières fois que les travailleurs de l’hôtellerie du côté français ont eu le soutien d’un syndicat dans leur lutte syndicale.
Lake Jr, Jose, la colère amicale
Jeffry, Daniella, Saint-Martin Déstabilisation sociétale dans la Caraïbe française
Deuxièmement… un voyage à Saint-Pierre et Miquelon
L’association « Consensus Populaire Saint-Martinois » présidée par Daniella Jeffry (association née de la crise des douanes de 1990, mais là est une toute autre histoire) a effectué une mission d’information à Saint-Pierre et Miquelon du 8 au 11 avril 1991. La délégation était conduite par le maire Albert Fléming. Saint-Pierre et Miquelon est un petit territoire français (6000 hab) près de la côte du Canada. C’est une station de pêche historique importante pour la morue. La France tient à ce territoire, probablement en raison de son importance stratégique. Tout au long de son histoire, le territoire a changé de statut à plusieurs reprises, raison pour laquelle nous avons voulu y faire une étude de cas.
Le 18 avril 1991, une réunion publique a été organisée pour exposer nos observations suite à ce déplacement. Voici des extraits du discours de Daniella Jeffry. (Bulletin municipal n°11, septembre 1991)




Mon avis sur ce qui précède est le suivant…
Ce que nous sommes aujourd’hui est le résultat de ce qui s’est passé dans nos passés.
Et aujourd’hui n’est pas hier, mais hier ne doit pas être effacé, car les sociétés humaines sont généralement un continuum entre le passé et le présent… malgré, parfois, la difficulté à trouver le « fil conducteur ».
…Et ce que nous serons dépend de ce que nous ferons de ce que nous sommes aujourd’hui.
Nous ne pouvons pas changer le passé, mais nous pouvons mieux façonner notre avenir, en nous inspirant de ce passé, en utilisant les meilleures pratiques anciennes et en nous efforçant de ne pas répéter nos erreurs.
C’est pourquoi il est si important de connaître les événements de notre passé.
C’est pourquoi aussi… « Je suis né ici » ou plus généralement « Je suis d’ici » est un privilège dont nous devons être fiers, mais « Je suis d’ici », dans notre contexte social, implique la grande responsabilité d’être au-dessus de la moyenne, tant dans notre vie professionnelle que dans notre vie sociale et culturelle.
Si nous voulons que la prochaine étape (politique, institutionnelle ou sociétale) soit profitable à « nous qui sommes d’ici », il faut que nous nous décidions à augmenter le niveau (qualité et quantité) de notre engagement dans la construction de notre « Saintmartinitude »… que nous soyons d’ici malgré nous ou par choix.
Et cela commence par la (re)connaissance des faits d’hier qui ont fabriqué notre aujourd’hui.
Telle est mon opinion.
Article très instructif, très proche de la réalité de notre histoire et de notre culture.
Ma question toutefois est la suivante : Quelles sont les actions concrètes entreprisent depuis ce constat, qui est, bien encré dans la conscience collective et qui date tout de même des années 80?
Soit il y a plus de 30 ans.
N’y a t’il pas un blocage autre qui empeche d’apporter des solutions efficaces à un « problème » societale qui découle d’une mauvaise stratégie de « management » de la politique de l’île ?
Ne serait-il pas temps d’envisager une autre politique innovante afin d’enrayer un système trop longtemps néfaste à la population Saint-Martinoise?
Le constat de l’anomalie est la première étape. Passons mettons à l’etude de plan d’actions, pour enfin et réellement passer à l’action, et entreprendre ensemble dans la bonne direction.
Les outils sont à notre disposition.
J’aimeJ’aime
Article très instructif, très proche de la réalité de notre histoire et de notre culture.
Ma question toutefois est la suivante : Quelles sont les actions concrètes entreprisent depuis ce constat, qui est, bien encré dans la conscience collective et qui date tout de même des années 80?
Soit il y a plus de 30 ans.
N’y a t’il pas un blocage autre qui empeche d’apporter des solutions efficaces à un « problème » societale qui découle d’une mauvaise stratégie de « management » de la politique de l’île ?
Ne serait-il pas temps d’envisager une autre politique innovante afin d’enrayer un système trop longtemps néfaste à la population Saint-Martinoise?
Le constat de l’anomalie est la première étape. Passons mettons à l’etude de plan d’actions, pour enfin et réellement passer à l’action,et entreprendre ensemble dans la bonne direction.
Les outils sont à notre disposition.
J’aimeAimé par 1 personne